Fiche technique

La nébuleuse Sh2-174, située dans la constellation de Céphée et distante d’environ 1000 années-lumière, est l’une des plus septentrionales du ciel et présente une particularité tout à fait passionnante : sa véritable nature n’est pas encore connue avec certitude !

Découverte en 1959 par l’astronome américain Stewart Sharpless, celui-ci l’intègre à la 174e entrée de son catalogue. Son collègue Beverly T. Lynds l’observe quelques années plus tard avec le télescope du Mont Palomar et l’intègre lui aussi à son propre catalogue des nébuleuses brillantes (« LBN »). Un problème se manifeste cependant rapidement : aucune formation d’étoile n’est observée dans cette nébuleuse et l’étoile à l’origine de l’ionisation n’est pas identifiée… 

Il faut attendre 1970 pour que cette étoile, une naine blanche dénommée GD 561, soit identifiée ; puis 1993 pour que deux astronomes, R. Napiwotzki et D. Schönberner établissent une association apparente avec la nébuleuse et proposent donc de la classer comme « nébuleuse planétaire ».

De fait, lorsqu’on regarde cette image au premier abord, Sh2-174 présente des caractéristiques propres aux nébuleuses planétaires, avec notamment un signal marqué dans les raies Ha (hydrogène) et OIII (oxygène), filtres qui ont été utilisés pour cette image.Pourtant, certains détails laissent perplexes et en premier lieu la morphologie particulière de la nébuleuse, inhabituelle pour une nébuleuse planétaire. De telles nébuleuses présentent habituellement une forme sphérique ou fortement symétrique. Rien de tel dans le cas de Sh2-174, pour laquelle les zones HII et OIII ne semblent pas même se superposer… 

Plus curieux encore, la naine blanche – étoile à l’origine de la nébuleuse planétaire par l’expulsion en fin de vie de ses couches externes – est habituellement située à proximité du « centre » de la nébuleuse.

Or, dans le cas de Sh2-174, l’étoile est fortement décalée vers l’Ouest, à tel point que les astronomes Tweedy et Napiwotzki, dans un article de 1994 où ils établissent la relation physique entre la naine blanche GD 561 et la nébuleuse, décrivent cette dernière comme « une nébuleuse planétaire abandonnée par son étoile« .

La naine blanche GD 561 évolue en effet à une vitesse relative de 71 km/s par rapport au milieu interstellaire ambiant.

De telles étoiles « fugitives » peuvent s’expliquer notamment par des rencontres à courte distance de systèmes binaires, l’explosion d’une supernova à proximité ou encore des interactions avec un trou noir.Il est donc possible d’imaginer une étoile initialement « fixe » lors de l’expulsion de ses couches externes et de la création de la nébuleuse planétaire, puis ultérieurement propulsée à très grande vitesse en raison de l’un de ces évènements.

Localisation de la naine blanche GD 561 (croix bleue)

Cela ne permet toutefois pas d’expliquer la forme globale de la nébuleuse Sh2-174, l’absence de superposition des zones HII et OIII, ou encore l’absence d’onde de choc visible dans la direction de fuite de l’étoile.L’explication proposée par Tweedy et Napiwotzki est que la zone OIII correspond aux résidus d’une nébuleuse planétaire formée par la naine blanche GD 561, se déplaçant avec son étoile au sein du milieu interstellaire et traversant ainsi une zone HII trop peu étendue pour être le siège de formation d’étoiles. Toutefois, dans cette hypothèse, l’âge de la nébuleuse OIII et celle de la naine blanche devrait coïncider ; ce qui ne semble pas être le cas.

En effet, la mesure de la température de surface de l’étoile est bien plus faible que celle attendue pour une étoile ayant évolué par le stade d’une nébuleuse planétaire (stade postérieur à l’ABG – branche asymptotique des géantes dans le diagramme de Hertzsprung-Russell, occupée par des étoiles de masse faible à moyenne). Cela conduit à lui attribuer un âge quatre fois plus important que celui des plus vieilles nébuleuses planétaires en interaction connues ; et surtout un âge (10^7 y) de cent à mille fois supérieur à la durée de vie typique d’une nébuleuse planétaire (10^4 à 10^5 y).

Par ailleurs, des observations complémentaires ont démontré l’absence de corrélation entre la cinématique de la naine blanche et celle de la matière ionisée. La « stratification d’ionisation » de la nébuleuse (distribution spatiale des éléments ionisés par rapport à la source d’ionisation) ne correspond pas davantage. Autrement dit, alors que la naine blanche se déplace très rapidement, la nébuleuse semble quant à elle, au contraire, « figée » sur place…

Pour expliquer ces incohérences, une autre théorie a été proposée en 2010 par les astronomes David Frew et Quentin Parker : Sh2-174 ne serait pas une nébuleuse planétaire mais une « sphère de Strömgren » ; c’est à dire de la matière interstellaire ionisée autour de la naine blanche GD 561.Ces structures – appelée ainsi en hommage à leur découvreur l’astrophysicien danois Bengt Strömgren à la fin des années 1930 – se présentent comme des nuages de gaz ionisé autour d’une ou plusieurs étoiles chaudes et de forme sphérique ; dont l’exemple le plus connu est la « bulle » au centre de la nébuleuse de la Rosette (mais que l’on retrouve également dans beaucoup de nébuleuses bien connues, telles que la nébuleuse de la Tarentule dans le Grand Nuage de Magellan). 

Les simulations informatiques tendent à démonter qu’il existe plusieurs critères observationnels permettant de distinguer si les interactions du milieu interstellaire ont lieu avec une nébuleuse planétaire ou avec une sphère de Strömgren. Dans le cas d’une nébuleuse planétaire, on doit observer une onde de choc clairement délimitée, y compris dans le cas d’une vitesse relative assez faible par rapport au milieu interstellaire (à partir de 25 k/s). Bien qu’avec le temps, cette onde de choc tende à s’affaiblir, voire à se désagréger pour les systèmes dont les composantes présentent des vitesses relatives élevées, les simulations démontrent qu’il doit demeurer une queue d’éléments ionisés dans le sillage du déplacement de la naine blanche.De telles structures (onde de choc et trainée) sont parfaitement visibles sur certaines nébuleuses planétaires en déplacement rapide dans le milieu interstellaire (par exemple HFG1). 

C’est précisément ce que tend à démonter une étude menée par R. R. Ransom (et al.) publiée en 2015 dans Astrophysical Journal. Au moyen d’observations radio et de mesure de la polarisation des éléments ionisés au sein et aux alentours de la nébuleuse, cette équipe d’astronomes présente des explications non seulement sur la structure de la nébuleuse mais aussi sur l’histoire de ses interactions avec son environnement proche.

Ainsi, cette étude met en évidence la présence d’un nuage de gaz d’hydrogène neutre beaucoup plus étendu autour de Sh2-174, s’étendant sur 1,2° x 0,5°.La nébuleuse aurait pénétré à l’intérieur de ce nuage il y a environ 27 000 ans, et présente dans son sillage une queue de matière ionisée comportant des composantes antérieures et postérieures à cette incursion.

Les mesures de polarisation par effet Faraday coïncident par ailleurs avec la trajectoire de Sh2-174 au sein du nuage de gaz (illustration ci-contre).

Mise en évidence de la trainée d’éléments ionisés dans le sillage de GD 561.

D’après cette étude, Sh2-174 (qui ne désigne alors que la nébulosité en OIII) présentait initialement, alors qu’elle évoluait dans le milieu interstellaire, une configuration classique de forme sphérique autour de l’étoile centrale, avec une onde de choc en « avant » de la trajectoire et une queue d’éléments ionisés dans son sillage (étapes n°1 et 2 du schéma ci-dessous).

Lors de sa rencontre avec le nuage de gaz, l’onde de choc s’est progressivement affaiblie sous l’effet de la pression accrue ; et une distinction s’est opérée entre la trainée initiale et la trainée – plus dense – générée depuis l’entrée dans le nuage (étape n°3).

Dans sa phase actuelle (étape n°4), on constate que l’onde de choc s’est totalement désagrégée, que les éléments environnants de la nébuleuse initiale ont été fortement freinés sous l’effet de la pression du nuage, contrairement à l’étoile centrale pour laquelle les effets de cette pression sont moins importants (d’un facteur 1/3 par rapport à la nébuleuse). Ainsi, la naine blanche n’occupe désormais plus le centre de la nébuleuse OIII, mais a rejoint la limite entre la nébuleuse et le nuage environnant.

Ces observations, menées en ondes radio, vont donc davantage dans le sens de l’existence d’une nébuleuse planétaire initiale que d’une sphère de Strömgren.

Dans cette hypothèse, nous assisterions donc aujourd’hui à la phase tardive de l’interaction d’une nébuleuse planétaire en mouvement avec un nuage d’hydrogène neutre et statique. Dans ce cas, l’absence d’onde de choc bien marquée peut s’expliquer par le fait que les éléments constitutifs de la nébuleuse planétaire initiale ont été progressivement dirigés vers la trainée.

L’évolution de l’interaction entre Sh2-174 et le nuage HI d’après R.R. Ransom et al.

Demeure malgré tout le problème de l’âge de la naine blanche ; qui pourrait malgré tout être résolu en admettant que celle-ci serait un résidu de géante rouge (la « route » de la branche des géantes routes permettant d’aboutir à un résultat équivalent en un temps 10 fois plus court). Mais une telle hypothèse implique l’existence d’un système double… et aucun compagnon à GD 561 n’a encore pu être identifié.

Pour cette raison, il n’existe pas de consensus parmi les astronomes quant à la pertinence de cette théorie  – du moins dans le cas précis de cette nébuleuse.

A ce jour, il n’est donc pas possible de trancher de manière définitive quant à la nature exacte de Sh2-174 : nébuleuse planétaire ou sphère de Strömgren en interaction avec le milieu interstellaire ? La question reste ouverte…